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United European gastroenterology journal
Quand la constipation induite par les opioïdes s’invite dans la stratégie antalgique.
En tant que prescripteurs de dérivés de la morphine, qu’il s’agisse ou non de douleurs chroniques liées au cancer, d’opioïdes faibles ou forts, nous sommes acteurs de la stratégie antalgique. Et dans cette stratégie figurent le diagnostic et la prise en charge des effets secondaires. La gestion de la constipation induite par les opioïdes (CIO) y compris par les paliers 2, peut être un véritable challenge au quotidien. Un consensus européen sur le management de la constipation induite par les opioïdes nous apporte des bases physiopathologiques simples et des outils pour la pratique clinique, non sans bousculer quelques idées reçues.
La dysfonction intestinale induite par les opioïdes concerne l’ensemble des symptômes digestifs provoqués par les morphiniques, de par la répartition ubiquitaire des récepteurs aux opioïdes le long du tractus gastro-intestinal, et de leur effet sur différentes fonctions digestives : nausées, vomissements, ballonnements, reflux gastro-œsophagien et constipation. La CIO est le sous-groupe le plus fréquent de cette entité, concernant 51 à 87% des patients atteints d’un cancer sous opioïdes et 41 à 57% des patients atteints de douleurs chroniques non liées au cancer sous opioïdes. La CIO impacte négativement la qualité de vie et la consommation de soins. Elle reste encore sous diagnostiquée en dépit de critères diagnostiques dédiés (Rome IV) permettant de l’identifier lors de l’initiation, le changement ou l’ajustement de posologies de traitements opioïdes. La CIO peut être quantifiée par l’échelle BFI (Bowel Function Index) en trois questions simples, qui permet donc également de juger de l’efficacité des traitements.
Sur le plan thérapeutique, les mesures générales prophylactiques classiques sont à considérer même si leurs preuves d’efficacité sont modestes ou insuffisantes. Citons notamment les règles hygiéno-diététiques (apports alimentaires en fibres, exercice physique, hydratation) ou la suppression - si possible - de médicaments constipants (5HT3, fer, anticholinergiques etc.) qui peuvent exacerber l’OIC. Les premières lignes de traitements sont les laxatifs classiques ; leur co-prescription initiale reste relativement rare en pratique bien qu’ils soient souvent recommandés de façon systématique. Il s’agit des agents osmotiques (ex : macrogol) et des stimulants (ex : bisacodyl), sachant que leurs effets secondaires digestifs sont fréquents (ballonnements, sensation de plénitude, impériosité). Les laxatifs contenant des sucres apparentés (ex : lactulose) ne sont pas recommandés dans la CIO car ils exacerbent les ballonnements et le météorisme abdominal.
Le consensus fournit un algorithme décisionnel : en pratique, en cas d’échec de ces premières lignes de traitements, y compris lorsque la constipation est mixte – incluant donc une part d’OIC -, les thérapies ciblées sont alors recommandées. Il s’agit des antagonistes des récepteurs aux opioïdes, parmi lesquels la naloxone et les PAMORAs (peripherally-acting mu-opioid receptor antagonists). Citons pour la France les spécialités actuellement disponibles : la naloxone en association combinée orale avec l’oxycodone, le methylnaltrexone en injection sous-cutanée, et le naloxegol. En cas d’inefficacité de cette deuxième ligne, un avis spécialisé est recommandé pour refaire un point diagnostic et ajuster les thérapeutiques, sachant que le changement d’opioïde peut être également envisagé. Ce changement d’opioïde pour effet secondaire intervient donc beaucoup plus tard que lorsque les thérapies ciblées de la CIO n’étaient pas disponibles. Atout pour le patient au quotidien, atout pour le praticien dans sa stratégie antalgique !
Reference
Adam D Farmer et al.
Pathophysiology and management of opioid-induced constipation: European expert consensus statement, United European Gastroenterology Journal 2019, Vol. 7(1) 7–20