Les opioïdes en France, l’épidémie nord-américaine a-t-elle traversée l’Atlantique ?

Alors que les données épidémiologiques nord-américaines démontrent une épidémie de surdosage d'opioïdes, en Europe, très peu d'études à l’échelle nationale ont été publiées sur ce sujet d'actualité.

À l'aide d'un échantillon représentatif au niveau national des patients bénéficiant de la sécurité sociale : l’Echantillon Généraliste des Bénéficiaire (> 700 000 patients), de la base de données exhaustive hospitalisation et du registre national des décès Cépi-DC, tous les patients ayant reçu au moins une délivrance d’opioïde entre 2004 et2017 ont été identifiés afin de décrire les tendances : dans les prescriptions de traitements antalgiques per os, les « shopping behaviour », les hospitalisations et les décès liés aux opioïdes. Les prévalences annuelles d’utilisation des antalgiques opioïdes et d’un « shopping behaviour » (≥ 1 jour de chevauchement de prescription par ≥ 2 prescripteurs, dispensée par ≥3 pharmacies) ont été estimées.
Entre 2004 et 2017, la prévalence d’utilisation des opioïdes faibles (la  codéine, le tramadol et l'opium) a augmenté respectivement de 150%, 123% et 244% (P <0,05). La consommation d'opioïdes forts est passée de 0,54% à 1,1% (+ 104%, p <0,05), avec une augmentation significative pour l'oxycodone (+ 1950%). L'utilisation d'opioïdes forts dans les douleurs chroniques non cancéreuses a augmenté de 88% (p <0,05) et en particulier de 1180% pour l'oxycodone. Le comportement de « shopping behaviour » est passé de 0,50% à 0,67% (+ 34%, p <0,05), associé à un risque de mortalité plus élevé HR = 2,8 (95% [IC]: 1,2 à 6,4). Les hospitalisations liées aux opioïdes sont passées de 15 à 40 pour 1 000 000 d'habitants (+ 167%, 2000-2017) et les décès liés aux opioïdes de 1,3 à 3,2 pour 1 000 000 d'habitants (+ 146%, 2000-2015).

Cette étude est une première approche européenne d'une estimation à l'échelle nationale, avec un accès complet à plusieurs registres nationaux, de la problématique de prescription des opioïdes. De 2004 à 2017 en France, l'utilisation d'opioïdes (hors dextropropoxyphène) a plus que doublé. L'augmentation de la consommation d'oxycodone et de fentanyl et la tendance croissante non négligeable de la morbidité-mortalité liée aux opioïdes devraient inciter les autorités à surveiller de près la consommation d'opioïdes en prescription pour prévenir une augmentation alarmante de la morbidité-mortalité liée aux opioïdes.
Cette étude est la première en Europe à donner, à un échelon national, des données sur d’une part les prescriptions d’opioïdes, mais aussi d’autre part sur les décès et hospitalisations en lien avec des opioïdes en prescription. Le « shopping behaviour » (+ 34%) a augmenté mais reste faible, en revanche les hospitalisations liées aux opioïdes (+ 167%) et les décès (+ 146%) ont augmenté de manière significative. Cependant nous n’observons pas en France les mêmes taux alarmant qu'aux États-Unis. Attention malgré tout, au-delà du nombre absolu d'événements, ces chiffres font ici ressortir une tendance à la hausse de ces évènements. Il convient de noter l’augmentation spectaculaire des prescriptions d’oxycodone, en particulier chez les patients ayant des douleurs chroniques non cancéreuses. La problématique de l’oxycodone nous rapproche du problème américain puisqu’elle était initialement l'une des molécules les plus couramment impliquées dans les décès par surdosage d’opioïdes en prescription. Cette forte implication de l’oxycodone dans le problème américain a été favorisée par une volonté de mieux prendre en charge la douleur, mais surtout par un marketing agressif et des arguments parfois douteux de la firme commercialisant la molécule. Cette firme fait actuellement l’objet de poursuites judiciaires dans plusieurs états américains. Derrière le problème de l’oxycodone attention à l’émergence d’une « nouvelle vague » dans cette problématique des opiacés, avec le fentanyl qui actuellement supplante l’oxycodone dans les causes de décès par opiacés aux Etats-Unis.

 Ces premiers chiffres français doivent donc attirer notre attention pour des prescriptions adéquates d’opioïdes en particulier dans les douleurs non cancéreuses. Il semble important de rappeler ici l’existence de recommandations françaises publiées en 2016 (http://www.sfetd-douleur.org/opioides).